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Le journaliste, le steak et le bullshit

Peu avant l’annonce de la première autorisation de mise sur le marché de viande de synthèse à Singapour, une victoire historique quoique marginale pour les causes animales et environnementales, le journaliste Gilles Luneau s'est fendu d’un éditorial dans Le Figaro (il s’agissait en fait surtout de faire la promotion de son livre, Steak barbare). Voyons un peu de quoi il retourne.


« L’arrivée de la “viande” de synthèse, produite par culture de cellules souche est une bien mauvaise nouvelle pour de multiples raisons. J’en retiendrai trois.

Une raison philosophique, d’abord.

Il faut savoir prendre de la hauteur et regarder la trajectoire morale où mène la viande de cellules souches. Quelle que soit notre relation à la nature, elle définit la société qui en découle. Depuis le néolithique, c’est-à-dire depuis les débuts de la domestication des plantes et des animaux il y a 10 000 ans, l’être humain compagnonne avec les animaux et les plantes. »

Puisqu’il s’agit de « prendre de la hauteur », on rappellera que notre espèce (homo sapiens) est apparue il y plus ou moins 300 000 ans. L’agriculture et la domestication des animaux, quant à elles, remontent, en effet, à un peu plus de 10 000 ans : c’est peu, c’est très peu (environ 3 % du total !). La manière de vivre et la relation au monde que nous avons adoptées durant ce court laps de temps sont-elles vouées à nous définir pour toute éternité ? Ces 3 % nous caractérisent-ils davantage, en tant qu’espèce, que les 97 % qui ont précédé, ou que les centaines de milliers d’années qui nous restent potentiellement à parcourir ? Je n’en suis pas convaincu et je ne suis pas davantage convaincu que cela soit souhaitable, parce qu’il me semble qu’on pourrait vraiment faire mieux.

Quand je dis « mieux », je veux dire mieux que 10 000 ans de guerres, de massacres, de génocides, de pratique plus ou moins institutionnalisée de la torture, de l’esclavage, du viol et autres raffinements qui n’ont pas l’air de déranger Gilles Luneau outre mesure. Elle se trouve peut-être , la « trajectoire morale ».


Par ailleurs, à en croire M. Luneau, nos ancêtres prénéolithiques, chasseurs-cueilleurs, auraient donc vécu sans relation à la nature, une telle relation ayant débuté avec la domestication des plantes et des animaux. C’est assez curieux comme analyse, quand même ! D’une part, l’anthropologie suggère que, précisément jusqu’au Néolithique, l’homme ne se serait pas considéré comme séparé de la nature. Ce ne serait qu’au moment où il s’est sédentarisé, du fait de sa prise de pouvoir soudaine sur l’animal et le végétal, qu’il aurait commencé à considérer ces derniers comme des choses, jusqu’à se conceptualiser comme un être à part, en dehors ou au-dessus de la nature. D’autre part, affirmer que nos ancêtres chasseurs-cueilleurs ne « compagnonnaient » pas avec les animaux et les plantes, alors qu’ils vivaient en interaction permanente avec ceux-ci, avaient pour préoccupation quotidienne de s’en nourrir, mais aussi de s’en protéger, c’est, heu… WTF?


En fait, ce que ce passage nous révèle sur la pensée de Gilles Luneau, c’est qu’il raisonne comme un bourgeois du XIXe siècle, pour qui l’humanité n’existe que par et pour la civilisation de son temps, avec une conception de l'homme immuable et cantonnée aux valeurs de cette civilisation, telle que ceux qui la dominent la définissent.


Et j’ai le sentiment que les critères de Gilles Luneau, en ce qui concerne les concepts d’humanité, de nature de l’humanité et de relation de l’humanité à la nature, sont complètement arbitraires. Il fixe et fige les limites là où ça l’arrange, au mépris des connaissances scientifiques, de tout désir d’objectivité et de toute perspective d’évolution future. Ironiquement, il fait démarrer l’histoire de notre relation à la nature précisément au moment où nous avons commencé à nous positionner en dehors de celle-ci et à en abuser de toutes les façons possibles. Bravo, Gilles : on sent que t’as bien potassé ton sujet !


« Cette coévolution est fondatrice de notre civilisation et participe de la dynamique des écosystèmes. Parce que nous faisons biologiquement partie de la nature, que nous y avons une place et une responsabilité. »


Ouh la la, Gilles, tu t’emballes ! Notre « appartenance biologique à la nature », comme évoqué plus haut, c’est toi le premier qui nous en extrait, finalement, en nous figeant dans un modèle sociétal aussi arbitraire qu’immuable, donc je ne vois pas trop où tu veux en venir.


La « dynamique des écosystèmes » et notre « responsabilité », parlons-en ! Parce que bon, affirmer que l’homme tel qu’il existe aujourd’hui est bon pour l’écosystème, ce serait quand même un peu prendre tes lecteurs pour des imbéciles quand on sait que la biodiversité n’a jamais été aussi menacée et que plus de 35 500 espèces animales sont aujourd’hui en danger d'extinction, précisément à cause de l’homme. À vrai dire, même avant le Néolithique on faisait déjà n’importe quoi : on a découvert que la disparition de la mégafaune préhistorique est corrélée avec la dispersion géographique de nos ancêtres chasseurs-cueilleurs. L’homme, en fait, n’a jamais été très cool avec les écosystèmes, qui se sont d’ailleurs aussi très bien passés de lui jusqu’à son apparition. Donc ton histoire de « dynamique des écosystèmes », comment dire…


« Il y a de quoi s’horrifier à vouloir non seulement s’en éloigner [de la nature] mais rompre avec les lois naturelles dont celles qui lient la vie et la mort. On ne peut s’en affranchir sans s’extraire du genre humain, sans flirter avec le transhumanisme qui résout les contraintes naturelles freinant les désirs de puissance et de longévité par des moyens techniques “augmentant” l’être humain. Il n’y a donc rien de traditionaliste à accepter les lois de la nature, juste à humblement connaître ses propres limites. »


Ah… il a bon dos en ce moment, l’épouvantail du transhumanisme ! C’est bien, ces concepts dont la plupart des gens ne connaissent pas la signification exacte, mais qui allument tout de suite chez eux un signal d’alarme. Je suis étonné que tu ne nous aies pas casé Orwell dans la foulée, dis donc ! Ah ben si, en fait, dans la description de ton livre, il est question de novlangue. Je me disais bien, aussi…


Alors déjà, pour ce qui est de « rompre avec les lois naturelles dont celles qui lient la vie et la mort », j’espère de tout cœur que tu es tout aussi fermement opposé à la contraception, à l’avortement, aux chimiothérapies, aux antibiotiques et aux vaccins, Gilou, parce que tout ça aussi, ça contribue à nous émanciper des lois naturelles de la vie et de la mort. J’dis ça j’dis rien, hein…


Mais oui, tu as raison, Gilles : soyons humbles. C’est pour ça que, dès demain, je propose d’aller expliquer aux paraplégiques qui ont l’espoir de remarcher grâce aux progrès de la médecine de faire preuve d’humilité et d’accepter leur handicap. Et puis, d’ailleurs, ça vaut aussi pour les gens en attente d'une greffe de cœur ou de rein, sans parler de ces filous de cyborgs transhumanistes avec leurs cœurs artificiels ! Les greffes, c’est pas naturel ! Pour qui vous vous prenez, les gars ? Vous allez tout de suite faire preuve d’humilité et accepter de crever sans faire d’histoires, parce que vos organes défaillants, c’est votre limite naturelle. Voilà. Et qu’on ne vienne pas me parler de porter des lunettes, hein ! Tu vois flou, Gilou ? Hé beh, mon coco : tu vas quand même pas aller t’augmenter chez Afflelou, si ? C’est normal, t’es vieux, c’est la nature, tu es humble et tu restes bigleux !

Bref, on voit une fois encore l’arbitraire total, qui consiste ici à décréter que la limite de la santé « naturelle » se situe ici et non là, et que celui qui doit mourir de ceci a le droit de s’en prévaloir, mais que celui qui doit mourir de cela ne l’a pas.

Et puis à vrai dire, cultiver la terre et domestiquer les animaux, prendre le contrôle de notre environnement et de ses ressources et ainsi créer cette société agricole que tu chéris tant, c’était déjà une manière de nous émanciper des lois naturelles et de leurs aléas. Tu la fixes où, ta limite arbitraire, Gilles ? Et sur quels critères ?


Quant à l’argument qui dit qu’il n’y a rien de traditionaliste à connaître ses limites, je ne sais pas vraiment ce que c’est censé vouloir dire, mais je te sens quand même assez « traditionaliste », Gilles, à vouloir maintenir par principe et à tout prix un statu quo tant sociétal que biologique envers et contre l’intérêt des individus qui voudraient s’en délivrer…


« Il existe une différence philosophique de taille entre savoir que notre nourriture, donc notre vie, dépend de la nature et savoir qu’elle dépend du laboratoire et de l’usine. On change de représentation du monde et par là même on influe sur la construction des identités. »


Il est certain qu'aujourd'hui, la vaste majorité des gens ne consomment que de la nourriture « naturelle », qu’ils cueillent et chassent dans la nature. Hein ? Quoi ? Non ? Ah, pardon. Tu voulais dire quoi, alors, Gilles ? De la nourriture produite localement et artisanalement, sans lobbies agroalimentaires, sans pesticides ni engrais industriels, sans travail à la chaîne ? Non ? Ça non plus ? Tu voulais dire quoi, Gilles ?


« Penser que la prouesse technique que représente pour certains la fabrication de “viande” artificielle est un progrès relève de la confusion entre nouveauté et utilité. C’est se rendre prisonnier d’une logique d’ingénieur qui veut que toute découverte s’inscrive dans “le sens de l’histoire”. »


Oui, le truc du « progrès comme sens de l’histoire qu’on essaie de nous imposer, mais qui n’est pas une fatalité », c’est aussi l’argument des misogynes, des homophobes, des royalistes et des intégristes religieux entre autres, et on peut supposer que c’était même, en leur temps, l’argument des promoteurs de l’esclavage et du colonialisme. Mais je sais que t’es pas comme ça, Gilou, donc passons


« Dans le cas qui nous intéresse, l’innovation n’est qu’un symptôme de l’idéologie technique que Jacques Ellul et Bernard Charbonneau ont éclairé de leurs travaux. Idéologie dont la logique se veut infaillible et se perfectionne à l’infini des problèmes qu’elle pose, accroissant d’autant son emprise sur l’individu au détriment de sa liberté de choix et d’action. »


Alors je n’ai pas lu ces chercheurs, et j’en suis sincèrement navré, car il n’y a jamais lieu d’être fier de son ignorance, mais du coup, je ne peux pas me prononcer sur leurs travaux. Ceci dit, tout ceci m’évoque la notion de « progrès vs innovation » telle que définie par Étienne Klein, et je suis étonné, du coup, que tu dénonces une logique à la fois de progrès et d’innovation. La nuance me semble pertinente, mais ça n’engage que moi.


Par ailleurs, tout ça sent quand même le « point Hiroshima » (variante du point Godwin, qui reviendrait à évoquer la bombe atomique pour affirmer que si une technologie peut avoir des conséquences néfastes, elle est par définition et par ailleurs incapable de procurer un bénéfice quelconque).


Toujours est-il que la logique de Dédale que tu évoques, qui consiste à s’efforcer sans cesse de résoudre par plus de technologie des problèmes créés par la technologie, n’est pas très pertinente en ce qui concerne la problématique de la viande. En effet, l’idée selon laquelle exploiter, tuer et manger des animaux pose des problèmes éthiques remonte au moins à l’antiquité. Il y aurait bien un moyen de résoudre le problème sans technologie : ce serait tout simplement d’arrêter de manger de la viande. Mais tu veux pas, alors bon…


L’intérêt de la viande artificielle, pour les gens qui se préoccupent de la souffrance animale et/ou du réchauffement climatique, n’a jamais été sa « nouveauté », mais précisément sa capacité à réduire la souffrance animale et/ou le réchauffement climatique. Il faut arrêter de nous prendre pour des demeurés, Gilles ! On peut kiffer la nouvelle PlayStation, mais on ne va pas non plus embrasser aveuglément toute nouvelle technologie juste parce qu’elle est nouvelle.


« Une raison politique, ensuite.

La viande de synthèse va accroître la dépendance à l’égard des multinationales agroalimentaires qui peuvent investir dans des usines stériles et robotisées concentrant la production. Un virus informatique figeant les robots, un cataclysme destructeur, un renchérissement de l’énergie paralysant les transports, le chantage politique d’un dictateur… et très vite surgiront les risques d’émeutes de la faim. Nul besoin d’une longue démonstration pour faire comprendre que sécurité alimentaire et ordre public sont intimement liés. Les protéines de synthèses - animales comme végétales - sont des dangers pour la souveraineté alimentaire et la sécurité car totalement déterritorialisées. »

Bon… déjà, comme évoqué plus haut, ce n’est pas comme si chacun cultivait ses tomates. J’invite chacun de nos lecteurs à s’interroger sur son panier alimentaire et à essayer de calculer quel pourcentage de sa nourriture échappe à l’industrie de masse, aux multinationales et aux circuits de la grande distribution. Alors oui, je sais, il va sans doute y avoir en commentaires un ou deux hippies (j’emploie ce mot sans mépris) pour me dire que tout ce qu’ils consomment provient de leur potager personnel. OK. Mais combien d’entre nous peuvent se vanter de cela ? Soyons sérieux, Gilles ! Dans un monde où des entreprises déposent des brevets sur le vivant, où dix multinationales dominent le marché de l’alimentation, et où il faut tuer plus de 150 milliards d’animaux par an pour satisfaire la consommation en viande de huit milliards d’êtres humains, tu vas venir nous expliquer que c’est la viande artificielle qui va sanctuariser les multinationales agroalimentaires ? Sérieusement ?

Abordons à présent les dangers que tu évoques. « Un virus informatique figeant les robots » : à ce compte-là, cette crainte s’applique à tous les secteurs de notre économie et de notre société, à commencer par nos réseaux électriques. En suivant ta logique, Gilou, il faudrait revenir à la lampe à huile pour être tranquilles. « Un cataclysme destructeur » : il est certain que jusqu'ici, une guerre, une sécheresse ou des inondations n’ont jamais eu aucun impact sur la production agricole. Ça se saurait. « Un renchérissement de l’énergie paralysant les transports » : ben oui, dis donc, c’est vrai que si demain les transports étaient paralysés pendant des mois, tout le monde mangerait quand même à sa faim, puisque chacun élève ses poules et cultive ses poivrons dans son jardin ! « Le chantage politique d’un dictateur » : va donc demander aux victimes de l’Holodomor et du Grand bond en avant si les dictateurs ont attendu les viandes artificielles pour affamer leurs populations, puis on en rediscute, OK ?

Qu’en est-il de la « souveraineté alimentaire totalement déterritorialisée » ? Ah ben ça, mon coco, le maintien de la souveraineté alimentaire, ça s’appelle un choix politique, ni plus ni moins. La viande artificielle, on pourrait décider d’en faire une industrie nationale, de la subventionner et de la développer sur notre territoire comme on l’a fait jusque là pour d’autres sources de nourriture. Et puis dis, oh ! C’est pas comme s’il était question de remplacer du jour au lendemain la totalité de nos aliments, végétaux compris, par de la viande artificielle ! Il faut un peu se calmer, là : on parle d’une technologie nouvelle, qui va probablement mettre plusieurs décennies à s’imposer progressivement, et qui n’a pas vocation de toute façon à remplacer les céréales, les fruits et les légumes. À t’entendre, on croirait qu’au premier janvier 2022, les Français ne mangeront plus que de la viande artificielle produite en Chine. Faut un peu arrêter de faire peur aux enfants et aux chats, Gilles : on n’est pas chez Valeurs actuelles !


« Une raison écologique, enfin. »


Ah ben celle-là, j’en bave d’impatience, dis donc !


« Les promoteurs de la fausse viande revendiquent de faire disparaître l’élevage au motif que ce dernier serait polluant et cruel. »


Alors, heu… oui, je confirme que l’élevage est polluant ET cruel. Et ce n’est pas moi, c’est la science qui le dit !


« Les promoteurs de la fausse viande revendiquent de faire disparaître l’élevage au motif que ce dernier serait polluant, cruel et climaticide. »


Oui, ben oui. Tu peux bien le reformuler comme tu voudras, ça n’en sera pas moins vrai.

« C’est vrai de la production industrielle de viande. »


La production industrielle de viande amplifie de façon spectaculaire la souffrance animale. Toutefois, pour prendre un exemple, meuler ou arracher les dents d’un porcelet, le castrer et lui couper la queue sans anesthésie pour finalement l’égorger, même fait de manière « artisanale », ça reste quelque chose de profondément cruel. Compte tenu du fait qu’il est aujourd’hui démontré que les porcs ressentent la douleur, éprouvent des souffrances psychologiques et ont une expérience subjective du monde (oh, et ils jouent aux jeux vidéos, aussi), j’aimerais bien savoir ce qu’il te faut pour parler de cruauté, Gilles !

J’ai aussi cet ami indien dont la maman âgée, qui vit de façon très traditionnelle dans un village, maintient dans son jardin des vaches attachées à une corde d’un mètre de long 24 heures sur 24, 365 jours par an et pour le reste de leurs vies. Les vaches sont bien nourries et ne sont pas maltraitées par ailleurs. Sont-elles heureuses, n’ayant que la possibilité de se coucher et se lever sans jamais marcher et sans être jamais confrontées à aucune autre stimulation que leurs repas ? J’en doute : comme nous, ces animaux ont des besoins, des instincts et des impulsions biologiques qui ne sont pas satisfaits dans de telles conditions.


Ne t'en déplaise, Gilles, la souffrance animale existe bel et bien en dehors de l'usine.


« Mais je m’étonne toujours des assertions donnant des chiffres sans les sourcer. Ainsi “99 % de la viande consommée viendrait d’élevage industriel”. Diantre ! D’où sort ce chiffre largement colporté par les activistes végans ? Où sont les 500 millions d’exploitations familiales qui nourrissent 80 % de la population mondiale selon la très sérieuse FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) ? »


Mais « diantre » toi-même, mon ami ! Et j’ajouterai même « sacrebleu », tant qu’on y est ! Mais oui, tiens, sourçons donc. Ainsi, selon la même très sérieuse FAO, la production de viande industrielle mondiale (hors poissons et crustacés) était en 2003 de 39 %. Il est probable que ça a dû augmenter depuis, ne serait-ce qu’à cause de la Chine. Par contre, selon l’Association américaine des producteurs de porc, c’était en 2002 pas moins de 84 % de la viande de porc américaine qui provenaient de ces mêmes élevages industriels. Si à présent je cherche ton chiffre de 99 %, je le retrouve par exemple ici. Or, selon cette ONG, qui se base sur les chiffres officiels du gouvernement américain, ce chiffre ne concerne que les États-Unis. Vous la sentez, l’arnaque ? Ben oui, Gilou, accuser des chiffres nationaux de mentir en leur opposant des chiffres mondiaux, c’est pas très réglo. Puis d’ailleurs, faudrait-il encore que ce soient des chiffres de la même chose, parce que comparer d’un côté un pourcentage de viande avec de l’autre un nombre d’agriculteurs (qui produisent aussi et surtout des végétaux) et un pourcentage de population (dont la viande ne représente que 9 % de son alimentation !), c’est comparer des choux et des carottes. C'est pas bien, Gilles, c'est vraiment pas bien.

Alors avant de venir nous soûler avec des sources, encore faudrait-il que les sources en question parlent de la même chose. Et puis il reste un problème, qui est qu’on ne sait pas très bien où elles se trouvent, ces exploitations familiales qui nourrissent 80 % de la population mondiale. Honnêtement, j’ai cherché et trouvé des tas de chiffres, mais impossible de savoir quel pourcentage d’exploitations familiales produisent quel pourcentage de viande par pays. Si quelqu’un a l'info, je suis preneur, mais si je me fie aux chiffres américains, je pense qu’il n’est pas délirant de supposer que les pays où on produit surtout de la viande de manière artisanale, ce sont les pays pauvres, où la classe agricole représente encore un pourcentage considérable de la population. Et vu que ce pourcentage de la population a globalement baissé d’à peu près 40 % en 30 ans, je ne suis pas convaincu qu’on soit sur la bonne pente, Gilles.


« Que deviennent les prairies naturelles des fermes en polyculture-élevage dont nous avons besoin pour fixer du carbone afin de lutter contre le réchauffement climatique ? La France a brillé à la COP21 en proposant de séquestrer des émissions de carbone via les prairies. Or une prairie perdure par les animaux d’élevage qui la broutent. Il ne faudrait pas prendre la vessie cancéreuse de l’élevage industriel pour les lanternes de l’agriculture paysanne.

Une prairie perdure par les animaux d’élevage qui la broutent. »


Alors, là, heu… comment dire ? Il est d’une telle mauvaise foi, ton argument, Gilles, que je ne sais plus si je dois en rire ou en pleurer. C’est vrai que c’est bien connu, hein : les végétaux ne poussent que si on les broute ! C’est pareil pour les forêts, d’ailleurs : que deviendraient-elles si on arrêtait de couper des arbres pour imprimer des livres et fabriquer des meubles ? L’Amazonie, sans l’industrie du bois, elle disparaîtrait !


Et puis, même si c’est vrai (et à vrai dire, je n’en sais rien) que le pâturage contribue de quelque manière au renouvellement des prairies, dis donc, faudrait pas que quelqu’un ait l’idée folle de laisser des ruminants vivre leurs vies pépères dans la nature ! Ben non, ça serait chaud, quand même : les chèvres, à l’état sauvage, c’est hyper dangereux. Et puis ça s’est jamais vu ! Ah ben si, en fait : ça s’est vu pendant des millions d’années, avant qu’on les domestique. Mais non. Selon Gilles Luneau, les prairies, avant le Néolithique, c’est simple : y’en avait pas.


Allez, Gilles, dégage, tu nous chies du bullshit au kilomètre, t’as tellement pas d’arguments que tu débites tout ce qui te passe par la tête pour vendre ton bouquin !


« S’opposer à la “viande” de synthèse participe d’une vision libérale de l’avenir laissant libre cours à la coévolution de l’être humain avec la nature dont il fait partie. L’urgence écologique et le bien-être animal exigent simplement d’avoir le courage politique d’affirmer qu’il faudra à l’avenir consommer moins de viande, certes, mais issue de l’élevage paysan. »


Oui, enfin ça ou ne plus consommer de viande du tout, ou consommer de la viande artificielle avec modération, ou développer une viande artificielle locale produite par des artisans locaux, ou produire davantage de fausse viande végétale, ou un juste équilibre entre tout ça. On a des tas de choix possibles, on n’est pas, comme tu le suggères, obligés de choisir entre une utopie amish et une dystopie transhumaniste.


Tu n’as pas avancé un seul argument qui tienne debout, Gilles. Et c’est pour ça que je me permets de te tutoyer, alors qu’on ne se connaît pas, et ce malgré la longue carrière de journaliste d’investigation revendiquée sur ta page Wikipédia suspectée de conflit d'intérêt. Pourtant, crois-moi, je respecte profondément le travail des journalistes, mais ça n'enlève rien au fait que ton pamphlet n’est composé que d'approximations, de sophismes, de pentes glissantes, d’appels à la tradition et d’appels à la nature. Si on ne connaît pas trop le sujet, c’est sûr qu’il parle au cœur, ton discours moisi. Mais dès qu’on creuse, rien ne tient. Il y a peut-être de bonnes raisons, que j’ignore, de s’opposer radicalement à la viande artificielle, mais ce n’est de toute évidence pas avec toi qu’on en prendra connaissance. Je ne sais pas si les 224 pages de ton bouquin sont plus convaincantes (apparemment, non), je ne sais pas trop quels intérêts ou quelle idéologie tu sers en fin de compte, mais ton « éditorial » promotionnel dans Le Figaro, c’est 100 % bullshit, du début à la fin. Du bullshit envers et contre la science, au prix d'un mépris de l’environnement et de maltraitances animales qui feront honte à tes arrières petits enfants.

Et c’est pour ça, disais-je, que je te tutoie, Gilles. Parce que je suis épuisé de lire et d’entendre, jour après jour, année après année, les divagations d’agitateurs de ton espèce, qui font leur beurre sur l’ignorance, les préjugés et les inquiétudes de leurs publics.


Tu vends du vide, Gilles. Du vide et de la mort.

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