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La vraie vérité sur le coronavirus ?


Depuis quelques jours, je vois un certain nombre d’@mis Facebook partager divers liens et réflexions concernant la possibilité d’un complot autour du coronavirus. Je sais qu’ils l’ont fait de bonne foi, je sais que ce sont des gens éduqués, cultivés, et je me demande comment on en est arrivés là.

Je me suis efforcé de dire ce que j’en pensais à chacun avec bienveillance, patience et pédagogie. Mon but n’était pas de braquer mais simplement de ramener un peu de rationalité dans le débat. Ça s’est bien passé avec tout le monde, aussi vais-je essayer de m’exprimer avec la même bienveillance dans ce condensé de ce que j’ai pu dire aux uns et aux autres. J’espère que personne ne prendra cet article comme une insulte personnelle ou une leçon de morale, ni ne se permettra de me troller en commentaire. Ce texte ne s’adresse pas aux gens qui sont absolument convaincus de l’existence d’un complot, mais à tous ceux et celles qui s’interrogent, qui ne savent plus quoi penser. C’est un peu long, vous n’êtes pas obligés de tout lire, mais je le vois comme une ressource qui peut être utilisée, partagée, dont certains extraits peuvent être copiés-collés en réponse à vos @mis s’ils se posent ce genre de questions. Si le cœur vous en dit.


Une petite mise au point pour commencer : je ne vais pas m’amuser à débunker un par un les fakes qui circulent sur internet, ce n’est pas le but de cet article et d’autres que moi, dont c’est la spécialité, s’en chargeront très bien. Je voulais juste aborder les arguments qui m’ont été soumis sur Facebook sous l’angle de la rationalité, rappeler certains points essentiels qui, à mon sens, permettront à beaucoup de trancher. Je ne vais pas non plus m’amuser à sourcer tout ce que j’affirme, même si je sais qu’on pourra me le reprocher à juste titre. C’est de la pure paresse mais rien de ce que je dis n’est particulièrement extraordinaire ou hors de portée d’une rapide recherche Google. Il est probable que la plupart d’entre vous n’apprendront rien qu’ils ne savaient déjà.


Les quatre premières parties de l’article répondent à des arguments plutôt factuels. Il s’agit juste de les remettre en perspective et d’évaluer rapidement leur vraisemblance. Ce ne sont pas, à mon avis, les points les plus essentiels.

Les quatre dernières parties, en revanche, concernent les mécanismes cognitifs qui nous poussent à croire des choses extraordinaires, et le sens que ça a ou non de partager ça sur les réseaux sociaux. Vous pouvez aller directement en partie 5 si c’est ce qui vous intéresse.


1. « Les virus ne font pas ça d’habitude, ce n’est jamais arrivé avant, il a forcément été créé en laboratoire. »

En fait, si, ça s’est passé comme ça avec des tas d’autres virus (et de bactéries). Dire le contraire, c’est oublier qu’on a juste la chance d’être nés à la fin du XXe siècle. Nos ancêtres étaient sans arrêt confrontés à des épidémies meurtrières, face auxquelles ils étaient impuissants. Le phénomène était probablement épisodique entre l’apparition de notre espèce (il y a environ 300,000 ans) et la révolution néolithique (il y a environ 12,000 ans). La sédentarisation d’individus de plus en plus nombreux, la promiscuité avec les animaux domestiqués et l’apparition des voyages commerciaux ont, alors, favorisé les foyers infectieux. La tendance s’est inversée il y a à peine un siècle : grâce à la science, nous avons trouvé des moyens plutôt efficaces pour nous protéger. Je déplore que certains responsables politiques évoquent une épidémie « inédite », « telle que nous n’en avons jamais connue » sans préciser « de notre vivant » : mes grands-parents ont connu la grippe espagnole quand ils étaient petits, ce n’est pas si loin de nous…

Ce que cette crise révèle peut-être, c’est qu’on a développé une sorte de sentiment d’invincibilité. On se sent tellement à l’abri des épidémies que, du coup, une maladie qui tue ne peut qu’avoir été créée par l’homme. Non. C’est juste la nature qui fait ce qu’elle fait d’habitude. Malgré tous nos moyens, malgré toute notre science, il arrive encore qu’on soit mal préparés, mal organisés, incapables de vaincre un micro-organisme. Oui, les maladies tuent encore. Et, soit dit en passant, certaines bactéries risquent de faire un come-back fracassant si on ne change pas nos habitudes.

J’ajouterai quand même, parce que ça me semble difficile de faire l’impasse là-dessus, qu’on sait que ce virus n’a pas été créé en laboratoire. On le sait en dépit de ce que certains racontent avec des tas d’arguments moisis, que je laisserai les débunkeurs démonter un par un dans les mois qui viennent (et, croyez-moi, ils le feront). On le sait, parce que le matériel génétique du virus a été testé dans de multiples laboratoires et que, de l’avis de tous les chercheurs, une manipulation humaine serait apparente.

On peut évidemment croire que tous les laboratoires publics et privés du monde, que les dizaines de milliers de chercheurs qui connaissent le sujet, qui ont accès à ces données et qui les comprennent, sont tous impliqués dans un complot. On peut croire à tout ce qu’on veut, même aux licornes, et je reviendrai plus loin sur ce point.


2. « Que le virus ait été créé en laboratoire ou non, les élites veulent s’en servir pour réduire la population mondiale. »

La simple observation du siècle qui vient de s’écouler nous montre qu’à part en Chine, et vaguement en Inde sous Indira Gandhi, rien de sérieux n’a été mis en œuvre pour freiner l’accroissement spectaculaire de la démographie mondiale, bien au contraire. On sauve les bébés, on prolonge les vieillards et, dans nombre de pays, on encourage les couples à procréer pour des raisons économiques ou idéologiques. Conférer à des élites toutes puissantes la capacité de réduire la population avec un complot d’une telle envergure, et en même temps faire le constat de leur impuissance à le faire depuis des décennies ; leur prêter le vice de l’ultralibéralisme mondialisé, et en même temps les soupçonner de vouloir réduire la manne exponentielle de consommateurs qui s’offre à eux… L’hypothèse ne résiste pas à ses propres contradictions et c’est pour ça qu’il n’y a pas au monde un intellectuel ou un chercheur sérieux pour la défendre. Et quel serait, de toute façon, l’objectif d’un tel projet ? Mystère.

On peut évidemment croire que tous les intellectuels et chercheurs du monde sont idiots. On peut croire à tout ce qu’on veut, même aux licornes.


3. « Tout ça est un moyen de faire passer des mesures autoritaires et d’instaurer une dictature mondiale. »

Il ne faut pas être naïf, certains gouvernements peuvent essayer de tirer profit de la situation et de pérenniser certaines mesures d’urgence, ce ne serait pas la première fois. J’invite donc chacun à une vigilance citoyenne dans les mois qui viennent. Mais transformer le monde entier en dictature, comme ça, du jour au lendemain ? Il faut regarder de près tout ce que ça impliquerait. Balayer du revers de la main les constitutions, les partis déjà au pouvoir, les contre-pouvoirs, les assemblées législatives. S’assurer d’un claquement de doigts l’allégeance de toutes les forces de police, de toutes les forces armées de la planète, unies sous un même drapeau. Les envoyer réprimer brutalement, à balles réelles, la contestation massive qui ne manquerait pas d’émerger un peu partout. Prendre le contrôle d’internet et des médias du monde entier, et vite. Maîtriser des territoires immenses. Mettre en place une propagande assez efficace et suffisamment universelle pour remporter l’adhésion de peuples aux mœurs, aux religions, aux cultures politiques différentes, parfois antagonistes. Réorganiser l’économie du monde entier autour de tout ça en évitant l’effondrement. Le tout en l’espace de quelques mois, les mains dans les poches ou presque. Juste à l’aide d’une épidémie qui, même en tenant compte des pires projections, restera probablement anecdotique en comparaison de la grippe espagnole (au moins 20 millions de morts). Et tout ça pour parvenir à quoi, finalement ? Mystère.

Et si le projet ne concerne que la France ou l’Union européenne, on peut se demander pourquoi le virus est apparu en Chine (de même que, si le sida avait été destiné à tuer les Africains comme ça a parfois été affirmé, on peut se demander pourquoi il est apparu aux États-Unis).

On peut aussi se demander pourquoi, depuis plus d’un siècle, les milliardaires occidentaux, dans leur immense majorité, soutiennent la démocratie libérale, si c’est en fait pour l’abolir.

En attendant, la plus puissante armée du monde est incapable de déloger des guérilleros sous-équipés de leurs montagnes en Afghanistan, et ça fait 18 ans que ça dure…

On peut évidemment croire que la géopolitique est une mise en scène, que tous les partis de tous les pays ne sont que les acteurs d’une mascarade organisée, que tous servent les mêmes maîtres et partagent, en fait, le même but. On peut croire à tout ce qu’on veut, même aux licornes.

4. « Toute cette histoire, c’est un prétexte pour déclencher un conflit armé, peut-être la 3e Guerre mondiale. »

Ça appelle à se demander pourquoi il n’y a pas eu de conflit généralisé depuis 1945, ni même de conflit d’envergure entre deux États de puissance égale depuis 1988. L’hypothèse la plus vraisemblable est que l’investissement économique, humain et politique que représente une guerre traditionnelle n’est plus rentable pour les nations et leurs élites, bien moins en tout cas que le maintien du libre-échange global. Il me semble en tout cas que c’est le consensus parmi les chercheurs. Il est encore profitable d’exciter les populations en se chauffant un peu avec un ennemi réel ou fantasmé : cette pratique a un intérêt politique, génère une forme de cohésion nationale autour du chef. Il est à la rigueur acceptable de mener des opérations somme toute assez marginales : envahir en quelques jours la Crimée ou l’Irak, envoyer des troupes combattre des guérilleros islamistes à l’autre bout du monde… Voilà les limites de la guerre en 2020.

Il faut aussi garder à l’esprit qu’une guerre est difficile à mener sans consentement populaire. C’est ainsi que, tout au long de l’Histoire, les guerres se sont surtout faites à l’aide de mercenaires puis, depuis plus ou moins deux siècles, à grand renfort de propagande. Hors, on constate que dans la majorité des pays du monde, surtout les développés, on nous propagande une injonction très simple, de l’école maternelle jusqu’aux plateaux télé : « la guerre, c’est mal ». C’est ce que j’ai entendu toute ma vie en France et c’est vrai même en Chine, où je viens de passer trois ans.

À part des dépenses colossales, le risque d’une contestation massive et celui de la destruction mutuelle assurée, les élites d’une grande puissance n’ont plus grand-chose à gagner à se lancer dans une guerre totale contre une autre grande puissance. Non pas pour dire qu’on est éternellement à l’abri d’un tel désastre, mais il n’est pas dans l’intérêt des riches et des puissants de le provoquer aujourd’hui.

On peut bien entendu croire que les élites nous poussent à penser que la guerre n’est pas souhaitable dans le but de nous préparer à accepter la guerre. On peut croire à tout ce qu’on veut, même aux licornes. Mais là, les licornes commencent à nécessiter de sacrées gesticulations intellectuelles…


5. « Je ne fais que partager une intuition, je ne sais pas ce qui se trame exactement mais il me semble évident que tout ça est suspect. »

Malheureusement nos intuitions ne valent pas grand-chose quand il s’agit de comprendre le monde. On a tous des intuitions, des biais cognitifs et des angoisses qui s’expriment de façon un peu désordonnée. Il faut s’intéresser aux sciences cognitives, qui sont un champ d’étude passionnant, qui montrent de plus en plus que nos cerveaux nous font souvent penser de façon irrationnelle, croire aux licornes et agir à l’encontre de nos intérêts. J’insiste vraiment là-dessus : il faut s’intéresser aux sciences cognitives. Parce que ce qu’elles tentent d’expliquer, c’est nous. C’est la manière dont nous construisons nos croyances, nos opinions, dont nous prenons nos décisions. Ne pas s’y intéresser, c’est à peu près comme accepter de jouer aux échecs sans en comprendre les règles, sauf que la partie c’est ta vie. Bien sûr, les sciences cognitives peuvent, de prime abord, nous sembler inaccessibles ou trop compliquées. Heureusement, il y a plein de vulgarisateurs qui font bien leur boulot sur YouTube, je partagerai des liens plus bas.

Mais revenons à notre intuition que derrière ce virus, il y a une volonté. C’est une question très débattue parmi les chercheurs, la question de savoir pourquoi le cerveau humain semble chercher du sens partout et à tout prix, dans la forme des nuages, dans l’existence du monde, dans les enchaînements d’événements aléatoires qui s’abattent sur nous. On n’a pas de réponse définitive, mais tout indique que ce besoin de sens existe, qu’un virus tombé comme ça par hasard, ce n’est pas une explication satisfaisante pour un certain nombre d’entre nous. Le problème de l’intuition, lorsqu’elle ne repose sur rien, qu’elle n’est pas nourrie par des éléments concrets, qu’elle n’est pas susceptible de résister à un examen minutieux, c’est que sa valeur est égale à zéro s’il s’agit de distinguer le vrai du faux.

Albert Einstein a peut-être eu des intuitions extraordinaires au début du siècle dernier, mais comment savons-nous qu’elles étaient extraordinaires ? Nous le savons parce que, depuis plus d’un siècle, des chercheurs essaient de dégommer les théories d’Einstein pour proposer un meilleur modèle et entrer à leur tour dans l’Histoire, et que depuis plus d’un siècle, ces chercheurs échouent les uns après les autres. Nous le savons parce que, en mettant de côté l’incompatibilité apparente entre relativité générale et physique quantique, les prédictions qui découlent des modèles proposés par Einstein sont systématiquement confirmées par l’observation empirique.

Pour pousser le raisonnement de l’intuition jusqu’au bout (c’est toujours intéressant de pousser les raisonnements jusqu’au bout), imaginons que Mickey a l’intuition que le virus résulte d’une volonté humaine malveillante, donc des élites. Il ne peut pas le prouver, il ne peut pas non plus se reposer sur un consensus scientifique, mais ça lui semble quand même assez évident. Imaginons maintenant que son ami Dingo a l’intuition que le virus résulte d’une volonté malveillante, mais pas humaine. Dingo ne peut pas expliquer exactement pourquoi, mais il pense que ça a quelque chose à voir avec les licornes. À force d’y réfléchir, il finit par conclure que les licornes existent et ont de grands pouvoirs, qu’elles essaient de nous dissimuler leur existence mais que, malgré leurs efforts, tout le monde a entendu parler d’elles. Si les licornes essaient de se cacher, c’est bien qu’elles nous veulent du mal. Elles sont donc à l’origine du coronavirus. Mickey écoute l’hypothèse de Dingo, rigole bien et rentre chez lui réfléchir au complot des élites.

Posez-vous à présent cette question : si Mickey et Dingo se trouvent confrontés à un examinateur scrupuleux, qui exige des preuves solides, qui cherche les failles de leurs hypothèses, celle de Mickey résistera-t-elle mieux à l’examen que celle de Dingo ?

Prenez un instant pour y réfléchir. Si vous pensez que l’hypothèse de Mickey est plus convaincante que celle de Dingo, sur quoi vous basez-vous pour l’affirmer ? Je serais curieux de lire vos réponses en commentaires.

Mon avis, c’est que le seul argument en faveur de Mickey, c’est le rasoir d’Ockham. Son hypothèse implique moins d’entités extraordinaires que celle de Dingo. Mais, in fine, le rasoir d’Ockham dégomme aussi Mickey.

Bien sûr, me dit-on, il ne s’agit que de partager des intuitions sur Facebook, de penser à haute voix : personne ne parle de convaincre un examinateur minutieux. Je m’interroge, pourtant : est-il utile, est-ce rendre service aux autres, surtout dans un moment comme celui-ci, de partager nos intuitions les plus irrationnelles et les plus anxiogènes sur les réseaux sociaux ? Est-ce pertinent, quand on sait que nous serons peut-être lus par des gens vulnérables, eux aussi en quête de sens mais peut-être trop jeunes, ou pas assez armés intellectuellement, pour avoir développé leur esprit critique ? Est-il raisonnable d’encourager l’irrationalité, à l’heure où les comportements de chacun peuvent potentiellement contribuer à une saturation des hôpitaux et à la mort de certains malades ?


6. « Je ne sais pas si ce qu’ils disent dans cette vidéo est vrai, je n’affirme rien, je ne fais qu’explorer des pistes afin d’enrichir le débat. »

Je vais le dire comme je le pense : brasser du vent n’a jamais enrichi aucun débat, c’est même contre-productif. Pour extrapoler sur une citation de Julian Assange, c’est complètement déprimant de voir les gens perdre leur temps avec des complots imaginaires alors que les vrais complots existent et que des journalistes, des militants et des lanceurs d’alerte se démènent quotidiennement pour les mettre à jour…

Il y a une réflexion de Rayna Stamboliyska que je trouve très intéressante (à 47:46). Pour résumer son propos, on peut se demander dans quelle mesure la propagation des fake news n’est pas favorisée par quiconque a intérêt, non pas tant à répandre les fake news en elles-mêmes, mais à faire en sorte que le citoyen lambda ne soit plus en mesure de hiérarchiser les sources d’information, de démêler le vraisemblable de l’invraisemblable, d’évaluer la crédibilité d’une information ou de son auteur et, in fine, d’être un citoyen éclairé. Ça vous rappelle quelque chose ?

Partager ce genre de vidéos ou d’articles sur le coronavirus, c’est faire le jeu de gens dont on ne sait pas trop pourquoi ils répandent ces rumeurs. Qui sont-ils ? Que cherchent-ils à obtenir ? Pourquoi font-ils de telles affirmations ? Par intime conviction ? Pour se faire du fric en monétisant des vidéos sur YouTube ? Pour faire le buzz et baiser des meufs ? Ou juste pour endormir les citoyens en prétendant lutter contre des fake news qu’ils répandent en fait eux-mêmes dans les bureaux secrets du ministère de l’Intérieur ? C’est ça qui est bien avec les théories du complot : on peut accuser n’importe qui de n’importe quoi. Mais n’empêche, posez-vous juste à chaque fois la question : les gens qui produisent ce genre de contenus ont-ils pour objectif de défendre l’intérêt général ?

Ce qui est sûr, ce qu’aucun journaliste ne niera, c’est que les riches et les puissants complotent effectivement pour s’enrichir et se maintenir au pouvoir. Et ils sont probablement bien contents de voir les gens chasser les fantômes du Nouvel ordre mondial, du 11 septembre et du coronavirus créé en laboratoire. Pendant ce temps, les milliardaires ouvrent des comptes aux Bahamas, les lobbies des multinationales embobinent nos élus et les parlements votent des lois qui ne sont pas toujours dans le meilleur intérêt de leurs électeurs… Tranquille pépère : les internautes sont bien trop occupés à se demander si les licornes existent pour se préoccuper de l’évasion fiscale, des atteintes à leur vie privée ou des implications de la loi sur le secret des affaires…

Et oui, les amis, il faut se réveiller.


7. « C’est bien gentil tout ça, mais comment je fais moi pour démêler le vrai du faux ? Comment tu fais, toi, puisque tu es si malin, pour connaître la vérité ? »

Pour paraphraser Raphaël Enthoven (c’était sur un plateau télé, ne me demandez pas lequel), on n’a pas besoin de connaître la vérité pour être capable de repérer un mensonge. On peut se calquer sur le modèle de la méthode scientifique : tester la validité d’une hypothèse en essayant de la dégommer. Si elle tient bon, elle n’est peut-être pas vraie mais on pourra déjà la privilégier par rapport à toutes celles qui n’ont pas tenu bon. En d’autres termes, je n’ai pas besoin d’être certain que le coronavirus vient d’un pangolin pour être certain de savoir qu’il ne vient pas d’un laboratoire.

Je n’ai évidemment pas testé le matériel génétique du virus moi-même, mais entre le consensus de milliers de chercheurs qui ont consacré leurs vies à l’étude des virus et un guignol anonyme sur une chaîne YouTube ou un livreur de pizza sur une page Gilets Jaunes, mon choix est fait.

Ceci m’amène aux propos passionnants d’Étienne Klein (à 12:36), qui rejoint Rayna Stamboliyska quant au fait que le véritable danger de notre époque, c’est le relativisme, l’idée que toutes les opinions se valent et que rien ne distingue la connaissance de la croyance. La cause de cette confusion, selon Klein, c’est le manque de compréhension que l’on a de l’histoire des idées, de la méthode qui a permis à certaines hypothèses de s’imposer au détriment d’autres. On n’a pas décidé arbitrairement, dans un cabinet ministériel, que la terre était ronde et pas plate. On est arrivé à ces conclusions par des méthodes et des raisonnements n’ont rien d’arbitraire, et qui sont accessibles à tous. Chacun, s’il s’en donne la peine, peut refaire le chemin du raisonnement et des débats qui ont mené à n’importe quel consensus scientifique (y compris en sciences humaines). Je ne suis pas capable, à titre personnel, ni d’analyser le matériel génétique du coronavirus, ni d’interpréter une telle analyse. Mais rien ne m’interdit, sur le principe, d’acquérir les connaissances qui me le permettraient. Je vais toutefois m’économiser cet effort parce que je sais que chaque année, des étudiants obtiennent des diplômes en biologie non pas par magie, mais parce qu’ils comprennent ces mécanismes. Je sais qu’il y a trop de gens, sur terre, qui sont capables de valider ou d’invalider l’analyse génétique du coronavirus pour que celle-ci puisse être falsifiée de manière durable. Et c’est pour ça que je fais confiance au consensus scientifique davantage qu’aux gogos sur YouTube. Ça paraît con à dire, comme ça, mais ça n’est apparemment pas évident pour tout le monde.

Comment démêler le vrai du faux, ou plutôt le probablement vrai de l’indéniablement faux ? Il faut s’intéresser aux mécanismes de la méthode scientifique, à l’histoire des idées, aux sciences cognitives, à l’esprit critique, à tout ce qui peut nous aider à distinguer une connaissance d’une croyance. Il faut aussi s’intéresser à la façon dont travaillent les journalistes, sur la manière dont ils produisent de l’information. Leur travail n’est pas dépourvu de biais ni d’erreurs, mais on se méprend souvent sur la nature et les causes de ces biais et de ces erreurs. Il y a des tas de façons de se documenter sur tout ça, la connaissance est à portée de main ! Il ne s’agit pas d’adhérer à des dogmes, mais d’acquérir des outils d’autodéfense intellectuelle.


8. « De toute façon, j’ai bien le droit de dire ce que je veux et d’exprimer mon ressenti ! »

Alors oui, on a tous le droit de « partager notre ressenti » dans les limites de la loi (car, c’est vrai, la liberté d’expression dont on aime tant se vanter a pourtant des limites en droit français). Mais, pour paraphraser Isaac Asimov (Newsweek du 21 janvier 1980), ce n’est pas parce que chacun a le droit d’exprimer ses idées que toutes les idées se valent, que l’opinion de l’ignare a nécessairement la même valeur que celle du savant. J’ajouterai que ce n’est pas parce qu’on a le droit de s’exprimer librement que l’on doit encourager chacun à s’exprimer de façon irresponsable, sans se soucier des conséquences. Parce que des conséquences, il y en a. Au mieux, des démocraties représentatives encore plus dysfonctionnelles qu’elles ne le sont déjà. Au pire, des morts.


S’exprimer en faisant preuve de prudence, c’est bien. Vomir ses opinions sur les autres, c’est moins sexy.

À l’heure où j’écris ces lignes, le 21 mars 2020, dans l’état actuel de nos connaissances, RIEN ne permet de parler d’un complot. L’état actuel de nos connaissances peut changer, mais soyez assurés que si c’est le cas, vous ne l’apprendrez pas dans les poubelles d’internet. Et si vous pensez trouver quelque chose tout seul devant votre écran, ou entre copains sur votre groupe Facebook, qu’aucun journaliste d’investigation, qu’aucun chercheur, qu’aucun lanceur d’alerte au monde n’aurait trouvé avant vous, malgré les méthodes et les moyens dont ils disposent : think again !

Une intuition basée sur rien, quand elle concerne un sujet aussi grave qu’une épidémie, c’est quelque chose qui ne sert à rien, qui ne mérite pas d’être partagé sur les réseaux sociaux au risque de semer la confusion dans les esprits vulnérables.


Et comme il y a des tas de gens qui expliquent tout ça et bien d’autres choses mieux que moi, je vais partager des liens ci-dessous. Rien de prise de tête : ce sont 15 chaînes YouTube consacrées à l’esprit critique, aux sciences cognitives et à la vulgarisation scientifique. Des tas de thématiques différentes, abordées sur des tons différents par des spécialistes de ces sujets. Il y a bien d’autres chaînes passionnantes, mais comme les vulgarisateurs de YouTube se font souvent de la pub les uns aux autres, ces liens sont une bonne porte d’entrée. N’hésitez pas à me dire en commentaire quelles chaînes vous auriez aimé voir dans cette liste. Vous y trouverez en tout cas des méthodes pour faire le tri entre croyances et connaissances. Et, ne vous y trompez pas, ce sont deux choses bien distinctes.


Sur ce, je vous fais des bisous et je vous souhaite de traverser cette épreuve avec sérénité… et rationalité !


Hygiène Mentale : Humble, pédagogique, claire, la chaîne de Christophe Michel est considérée comme une référence en ce qui concerne les méthodes d’autodéfense intellectuelle.

Defakator : Defakator, on l’adore ! Du débunkage de fakes rigoureux, mais toujours avec beaucoup d’humour.

Mr. Sam – Point d’interrogation : Des petites brèves liées à l’actu en forme de JT pensée critique et des dossiers de fond. Comme Hygiène Mentale, très axé sur la méthode.

La Tronche en Biais : Les émissions La Tronche en Live, grand-messe de la pensée critique, abordent des tas de sujets différents en compagnie de spécialistes du domaine évoqué.

Horizon-gull : Une chaîne qui décortique avec brio la façon dont la publicité et les médias se servent de nos biais cognitifs pour nous la faire à l’envers.

Aude WTFake : La méthode journalistique expliquée par une journaliste professionnelle, et de bons débunkages au passage.

Homo Fabulus : Les sciences cognitives du point de vue de la biologie, et des jolis paysages en prime.

Monsieur Phi : Une chaîne dédiée à la philosophie, avec beaucoup de dilemmes à résoudre et surtout beaucoup moins chiant qu’à l’école.

Dirty Biology : Comme Léo le dit lui-même : « tu voulais pas le savoir, mais maintenant c’est trop tard », une chaîne mindfuck qui traite de biologie mais surtout de nous.

Le Vortex : Quand Arte propose une plate-forme collective aux meilleurs vulgarisateurs scientifiques de YouTube. Chaque sujet est abordé sous l’angle de la transdisciplinarité.

Science4All : Une chaîne surtout consacrée aux mathématiques, mais avec de passionnantes séries sur la démocratie et l’intelligence artificielle.

DeBunKer des Étoiles : Débunkage de bullshit à gogo, précis, factuel et sans prendre de gants.

Esprit Critique : La politique vue sous l’angle de la pensée critique, une chaîne assez ancrée à gauche mais qui s’efforce quand même de ne pas perdre son objectivité.

Instant Sceptique : Une bibliothèque d’interviews autour de l’esprit critique.

Thinkerview : Des interviews de tout un tas de gens sur des sujets aussi variés que la politique, l’économie, la géopolitique, le journalisme, les nouvelles technologies, les sciences… Un bon endroit pour recueillir des points de vue alternatifs de toutes sortes sans pour autant tomber dans le conspirationnisme.

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