CE QUE FONT LES MORTS
2011
Un court-métrage d'Éric Chmara, d'après un scénario original de Shaomi.
Pour ceux qui veulent en savoir plus sur la genèse de ce projet, une interview du scénariste est disponible ci-dessous.
Entretien avec Shaomi, scénariste de Ce que font les morts.
Comment est née cette collaboration avec Tutella Prod ?
J'avais déjà collaboré avec Rémy et Éric sur de nombreux projets dans le cadre du collectif Neweden, il y a dix-quinze ans de cela. En 2008, après avoir bouclé leur long-métrage Alter ego, ils m'ont proposé d'écrire le scénario d'un court-métrage d'horreur. Je leur ai proposé deux histoires de fantômes sur lesquelles j'avais déjà travaillé et ils ont choisi Ce que font les morts.
C'est donc un thème qui t'es cher, les fantômes ?
Ça m'a toujours fasciné, depuis que je suis petit. Mais je crois que parler des fantômes est toujours une manière détournée de parler des vivants : les fantômes, dans de nombreuses œuvres de fiction, ne font qu'accentuer des comportements et des obsessions bien humains. C'est ce que sous-entend la phrase qui a donné son titre au film : « Ce que font les morts est semblable à ce que font les vivants ».
Et que font les vivants ?
Ils tournent en rond. Je crois vraiment aux fantômes et je pense qu'ils sont comme ceux que l'on voit dans Sixième sens, ou dans ce roman merveilleux et méconnu, Manhattan Ghost Story de T.M. Wright. Tiens, pendant que j'y suis et entre parenthèses, mon script doit aussi beaucoup au film Kairo de Kiyoshi Kurosawa, une autre perle méconnue. Bref, je crois que les fantômes tournent en rond parce qu'ils sont prisonniers de leurs frustrations, de leurs regrets, de leurs besoins inassouvis, de leurs peurs, de leurs blessures affectives, de leurs refus de voir au-delà de leurs œillères... Et en termes de psychologie, ce que je viens de dire pourrait s'appliquer à beaucoup de gens bien vivants ! Pour moi, les fantômes c'est finalement une manière de parler de la folie, parce que la folie est quelque chose qui me fait peur. Je ne parle pas seulement de la démence mais aussi de la folie quotidienne : les petites névroses, les petites paranoïas, toutes ces petites anomalies psychiques qui rendent les gens insupportables !
C'est ta folie ou celle des autres qui te fait peur ?
Les deux !
Le livre promo du film, dans lequel sera publiée cette interview, contient une nouvelle que tu as écrite, qui porte le même titre que le film mais qui raconte une histoire tout à fait différente. Peux-tu nous expliquer cela ?
Il faut remonter à l'origine du projet, il y a un peu plus de dix ans. J'avais envie depuis longtemps d'écrire une histoire de fantômes et c'est le travail de la photographe Cindy Sherman qui m'a en quelque sorte donné un déclic. À l'époque je voulais construire un triptyque : une même histoire racontée du point de vue de trois personnages différents. Une partie était une nouvelle, une autre une bande dessinée, la troisième un court-métrage, et les trois réunies formaient un puzzle complet. Finalement je n'ai rien fait de cette idée à l'époque mais je l'ai reprise en 2005, lorsque j'ai conçu le recueil de nouvelles Tabloïde, dont est tirée la nouvelle ici-présente. Entre temps, en 2004, le dessinateur 2080 m'avait demandé de lui écrire un scénario pour une BD et j'avais composé un récit complètement différent à partir des mêmes thématiques. La BD n'a pas trouvé d'éditeur, et par conséquent n'a jamais été dessinée dans son intégralité, mais le court-métrage est une adaptation de ce scénario-là. C'est donc assez drôle parce que finalement nous obtenons une nouvelle, un court-métrage et le scénario d'une BD. La proposition d'Éric et Rémy m'aura donc permis d'aller plus ou moins au bout de mon idée d'origine.
Cela signifie que tu en as terminé avec les fantômes ?
Pas nécessairement : j'aimerais bien transformer le scénario de la BD (et donc du court-métrage) en roman, mais j'ai beaucoup d'autres livres à écrire avant, alors qui sait si et quand j'aurai le temps de réaliser ce projet...
À quel point t'es-tu investi dans la réalisation du film ?
À aucun point ! Je n'avais absolument pas de temps pour ça et de toute façon ce n'est pas mon métier de faire du cinéma. J'avais donc dès le départ été très clair avec Rémy et Éric sur le fait qu'une fois livré, mon scénario leur appartenait et qu'ils étaient libres de l'adapter comme bon leur semblait, voire de le modifier s'ils le voulaient. D'une part je leur faisais entièrement confiance et de toute façon, il vaut mieux raisonner comme ça lorsque l'on écrit pour le cinéma. Éric et Rémy, par contre, m'ont fait plusieurs retours sur le scénario en cours d'écriture. On peut donc dire à tous points de vue que ce script, même si j'en suis l'artisan principal, doit beaucoup aux interventions de 2080 sur la BD, puis à celles de Tutella Prod sur le film.
Et tu as vu le film ?
Pas encore. J'ai lu quelques modifs qu'ils ont faites sur le scénario et les dialogues, que je trouve excellentes, et j'ai juste vu une séquence qui m'a bluffé. Pour la petite histoire, il y a un « film dans le film », un snuff-movie qui apparaît dans une scène. Rémy et Éric l'ont tourné et monté, puis posté sur Youtube pour le montrer à toute l'équipe. J'ai mal lu leur mail et j'ai cru qu'il s'agissait d'une vraie exécution d'otage par des Islamistes, qu'ils envoyaient à tout le monde pour inspiration ! Et quand je leur ai dit « Oui, c'est quelque chose dans cet esprit-là que j'avais en tête, c'est génial si vous arrivez à filmer une scène comme ça », ils m'ont répondu : « Mais... heu... ce que tu viens de voir c'est la scène qu'on a déjà filmée ! ». Après quoi Youtube a supprimé la vidéo en question parce qu'ils ont vraisemblablement cru comme moi que c'était une vraie ! Quoi qu'il en soit, pour les raisons évoquées plus haut, même s'il advenait que je n'aime pas le résultat final je ne reprocherais rien à Tutella : c'est leur projet et c'est à eux de le réaliser comme ils l'entendent.
Et tu as d'autres projets de courts-métrages ?
Non, sauf si quelqu'un me propose un jour d'en écrire un autre. Je me recentre sur la littérature, à présent.
Et pour finir, peut-on te demander ce que tu fiches en Asie ?
J'explore le monde, j'essaie d'y trouver ma place, je prends du recul... Aujourd'hui je vis au Cambodge mais lorsque paraîtra ton interview je serai peut-être ailleurs... Je trouve ça dommage de ne pas changer d'environnement, de rester toute sa vie au même endroit et d'y faire toute sa vie la même chose. Il y a trop de trucs à apprendre et à découvrir !
Propos recueillis par Frédéric Henry.